Fédération Nationale des AFP

Assemblée du Désert, 4 septembre 2022

La FNAFP était présente au culte avec baptêmes de l'Assemblée du Désert à MIALLET.

Assemblée du désert : commémorer la St Bartélémy ?

Pour écouter le culte diffusé en direct sur France Culture #SOLAE, le rendez-vous protestant cliquer ici. 

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La prédication a été apportée par le pasteur Christian BACCUET, de l’Église protestante unie (PARIS, Pentemont-Luxembourg) en direct sur France Culture #SOLAE, le rendez-vous protestant.

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Lectures bibliques : Genèse 4, 1-16 et Matthieu 28, 5-10

Frères et sœurs, qu’on est bien ici, entre nous, loin des tumultes de ce monde !

Pourtant, vous l’entendez, cette voix qui parcourt nos vies. Ce cri déchirant qui court de collines en collines, passe les ravins, fait le tour de la terre, grimpe jusqu’au ciel et nous poursuit au fond de nos enfers. Ce cri qui nous glace le sang. Ce cri qui monte des innombrables conflits qui déchirent le monde, à travers l’histoire et aujourd’hui sur tous les continents. Ce cri qui traverse nos histoires collectives et personnelles.

Qu’as-tu fait de ton frère ? Qu’as-tu fait de ta sœur ?

Ce cri résonne dans notre histoire. Il résonne en ce jour où nous faisons souvenir, 450 ans après, du massacre de la Saint Barthélémy, déclenché à Paris au matin du 24 août 1572. Dans la capitale, entre 3 et 4 000 protestants ont été tués, puis le massacre s’est propagé dans les provinces jusqu’à l’automne, portant le nombre de victimes à près de 10 000. Massacre terrible, d’autant plus terrible qu’il a été commis le plus souvent par des hommes qui connaissaient leurs victimes. Le massacre de la St Barthélémy est un massacre de proximité ; ce sont des voisins qui ont tué leurs voisins [1]. Comme dans bien des massacres – celui-ci dont les protestants ont été victimes, d’autres ailleurs commis par des protestants –, ce sont des frères qui ont tué des frères.

Nous faisons souvenir de ce massacre en mémoire de nos ancêtres dans la foi. Nous en faisons mémoire car il trouve écho aujourd’hui en bien des lieux de ce monde. 

Nous le « commémorons » – nous en faisons « mémoire ensemble », pas entre nous mais avec nos frères et sœurs catholiques et avec toutes les personnes de bonne volonté – car il nous pousse à nous regarder en face : 

  • Que faisons-nous de cette histoire ? 
  • Que faisons-nous de ce cri : Qu’as-tu fait de ton frère ? 
  • Qu’as-tu fait de ta sœur ?

 

Ce cri déchire l’humanité depuis toujours. Il est au cœur du premier meurtre de l’histoire, celui d’Abel par son frère aîné Caïn ; il est le cri que Dieu pousse face à Caïn : qu’as-tu fait ?

1. De la fratrie au fratricide

Caïn est le premier né du premier couple humain. Symboliquement, il est le premier être humain comme nous. En lui, symboliquement, se trouve ce qui est au cœur profond de notre humanité.

Caïn a un nom solide, qui en hébreu signifie « celui qui possède (ou qui fabrique) un lance ». Il est l’aîné, sans doute choyé par sa mère qui, à sa naissance, s’est écriée « J’ai produit un homme avec le Seigneur »[2]… rien de moins !

Abel est le second et sa naissance semble bien plus banale : « elle mit au monde Abel, son frère »[3]. Son nom dit l’insignifiance : Hebel [4], c’est la « buée », la « vapeur ».

Caïn et Abel. La lance contre la vapeur. La violence contre l’esprit. Première fratrie. Et premier fratricide.

Caïn et Abel ont chacun apporté une offrande de leur travail à Dieu, mais l’offrande d’Abel a été préférée et Caïn en est fâché. Rien de plus classique. Quelque chose marche pour l’un et pas pour l’autre, on ne sait pas pourquoi, cela sera peut-être l’inverse demain[5]. Aucune raison n’est donnée dans le récit de la Genèse, mais cela prend toute la place. Caïn s’enferme dans son amertume. Son frère devient son rival. Et pris par un désir mimétique – ce désir qui nous fait vouloir la place de l’autre et nous pousse à l’éliminer –, il se laisse dominer par la jalousie, emporter par le désir de vengeance. Il tue son frère et va traîner toute sa vie le poids de ce crime.

La fratrie n’est pas une garantie de relations paisibles. Nous le savons d’expérience et la Bible en témoigne tout au long de ses pages. Caïn qui tue Abel, puis Ismaël et Isaac qui se disputent, Jacob qui usurpe la place d’Esaü, Joseph vendu par ses frères, les fils du roi David qui se font la guerre pour sa succession… Dans le Nouveau Testament, la parabole dite du fils prodigue met en avant la jalousie du frère aîné.

La Bible nous parle, parce qu’elle parle de nous, de notre difficulté à vivre la fratrie, de notre attirance vers le fratricide. Mais la Bible ne fait pas que nous tendre un miroir ; elle nous offre des repères pour que nous puissions suivre un chemin de vie. Et j’en trouve trois dans ce récit.

2. Caïn, l’absence de parole

Ce qui me frappe d’abord dans ce récit, c’est l’absence de parole.

Abel ne parle pas. C’est comme s’il était invisible dans cette histoire. Et l’on ne sait que trop bien qu’invisibiliser l’autre permet de mieux le considérer comme non humain.

Avant de tuer son frère, Caïn ne parle pas, non plus. Il a pourtant deux fois l’occasion de parler.

La première, c’est quand Dieu lui demande : « Pourquoi es-tu fâché ? »[6] Que son offrande n’ait pas été reçue favorablement n’est pas un rejet de sa personne. Dieu est en lien avec lui puisqu’il lui parle. Et la question de Dieu est un appel à dire ce qui le ronge. A déposer plutôt qu’à garder au fond de soi. Mais Caïn ne saisit pas la perche. Il reste enfermé dans sa colère. Il ne répond pas, mais va trouver Abel. Et là, que lui dit-il ? 

Mot à mot, nous dit le texte hébreu : « Caïn dit à Abel, son frère. »[7] Et le texte s’arrête. Rien ne sort de la bouche de Caïn. Sa parole est absence de parole, elle est vide. Absence dramatique de la parole, qui ne permet pas l’espace nécessaire, le dialogue, la relation, et laisse toute la place à la violence, à la férocité entre frères, à la « frérocité », selon le mot attribué à Lacan. L’absence de parole est le premier pas vers le fratricide.

Caïn ne dit rien, et cela nous dit beaucoup sur la logique de la violence. L’absence de parole peut tuer ; son absence ou, ce qui revient au même, son vide, ou sa déformation, la parole instrumentalisée qui ne porte pas la relation mais fait de l’autre un objet dont il faut s’emparer ou qu’il s’agit d’éliminer. Quand la parole manipule, elle est mortelle. 

Voilà qui sonne comme une alerte pour nous en notre temps où la méfiance envers toute parole se développe, où la défiance gangrène notre société et s’insinue au sein même de nos Églises. Appel à retrouver le goût de la parole, de l’échange, du dialogue, de la relation. Appel à se parler vraiment, appel à ouvrir des espaces de parole, en vérité.

 

3. Dieu, la Parole de vie

En vérité, c’est-à-dire en Dieu. Et là, le texte nous donne un deuxième repère. En regardant de plus près ce récit, je suis touché de voir que la parole y est pourtant présente. Il y en a un qui parle, c’est Dieu. A quatre reprises, il s’adresse à Caïn !

La première fois, c’est, avant le meurtre, quand il demande à Caïn pourquoi il est fâché[8]. Il lui tend la parole et il le met en garde en même temps, dans un élan de sollicitude émouvant : « Relève la tête ! Le péché est tapi à ta porte, domine-le ! »[9]. C’est la première apparition du terme « péché »[10] dans la Bible, cette force de mort qui se tient sournoisement tout près de nous, prête à bondir et à nous submerger. La parole de Dieu est un appel à parler, à se ressaisir, à dominer le mal. Mais Caïn n’en fait rien.

La deuxième fois que Dieu parle, c’est après la mort d’Abel : « Où est Abel, ton frère ? »[11]. Parole qui nomme la victime – « Abel » – et qui dit la relation – « ton frère ». Question qui est un deuxième appel à la parole de Caïn. Caïn, là, répond, mais en se défaussant : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? »[12]. Nous la connaissons, cette réponse qui n’en est pas une car elle est faussée, elle fait semblant, elle n’assume pas, elle retourne la question pour mieux y échapper.

Mais Dieu est tenace. Sa parole est plus forte que nos silences ou nos mensonges. Il prend une troisième fois la parole, avec ce fameux cri : « Qu’as-tu fait ? »[13]. Parole qui encore une fois appelle à répondre, à être responsable, à être dans la réalité, cette réalité qui existe même si on tente de la cacher, qui parle même si on la tait : « le sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi »[14]. Parole qui dit aussi ce qu’est la réalité après le meurtre : malheur, malédiction, errance sans fin. Caïn répond mais c’est trop tard, et c’est pathétique. Il ne s’intéresse pas à Abel mais s’apitoie sur son propre sort : ma faute va m’écraser, je vais errer, on va me tuer[15]. Ses mots sont tournés sur lui-même, comme le péché, dont Luther disait que c’est le fait d’être replié sur soi[16]. Caïn transforme le Dieu qui tend la parole, qui alerte, qui accompagne, en un Dieu qui se venge : « Tu me chasses », accuse-t-il, parole de bourreau qui veut retourner la réalité en se faisant passer pour victime.

Quatrième prise de parole de Dieu : « Si quelqu’un tue Caïn, on le vengera sept fois »[17]. Dieu avertit, encore une fois, et cette fois c’est pour tous les humains : la violence se démultiplie, on passe vite de un à sept et, quelques versets plus loin elle aura décuplé, puisque Lémek, arrière-arrière-arrière-petit-fils de Caïn, souhaitera être vengé 77 fois[18] !

Oui, la violence se démultiplie dans l’absence de parole vraie. Le récit biblique nous met en garde, lucidement, mais il nous dit aussi la force de la Parole de Dieu, qui vient inlassablement renouer le dialogue.

Appel à nous mettre à son écoute. Appel à dominer le péché tapi au fond de nous et à nous ouvrir à la vie.

 

4. Le Christ, source de fraternité

Appel à construire, à reconstruire. Et ici un troisième repère nous est donné. Là où le péché nous replie sur nous-même, la Parole de Dieu, disait Luther, vient extra nos[19] ; elle nous vient d’ailleurs que de nous. La justice de Dieu – ce qui nous rend juste – est grâce car elle nous est donnée, elle nous ouvre et nous relève. Dieu vient à nous, sans relâche, et il nous accompagne. Et cela nous ouvre à une espérance forte : il n’y a pas de fatalité, nous ne sommes pas enfermés dans la frérocité, nous ne sommes pas condamnés au fratricide !

Abel est mort sans descendance, son existence est passée comme une nuée. Caïn a des descendants, qui multiplient le cycle de la violence. Et nous ? Sommes-nous plutôt Abel à l’offrande agréée mais mort sous les coups de la jalousie ? Ou plutôt Caïn le meurtrier de son frère, condamné à porter le poids de son crime, loin du Seigneur ? Dans nos vies personnelles et collectives, dans notre mémoire protestante, dans notre participation à ce qui se passe dans notre monde, portons-nous le poids de la victime ou le poids de l’assassin ? Pour le formuler autrement, de qui sommes-nous les héritiers ? De quoi sommes-nous porteurs, aujourd’hui ?

La suite du chapitre 4 de la Genèse nous donne la liste des descendants de Caïn. Puis il nous dit qu’Adam et sa femme ont un autre fils, Seth, qui lui-même a un fils, Enosh. « C’est alors, précise le texte, que l’on commença à invoquer le nom du Seigneur »[20]. Et le chapitre suivant donne la longue liste des descendants de Seth, jusqu’à Noé. Noé, celui qui, quand la terre est submergée de violence et disparaît sous le déluge, traverse les flots avec sa famille et les animaux, pour déboucher, quand l’arc-en-ciel se lève, dans un monde neuf, une création nouvelle, une humanité renouvelée.

Dans la symbolique biblique, nous ne descendons ni d’Abel ni de Caïn, mais de leur frère Seth, dont le nom veut dire « donné »[21]. Nous sommes les héritiers d’un don. Nous portons en nous le souvenir des victimes – et l’attention à toutes celles d’aujourd’hui – et le souvenir des meurtriers – et de tous ceux d’aujourd’hui. Mais nous portons aussi l’espérance d’un pardon, c’est-à-dire d’un don par-delà l’histoire et les blessures reçues ou données. Un espace de vie au-delà des tombeaux de l’histoire. L’espace de la résurrection.

Au premier matin de Pâques, à la fin de l’évangile de Matthieu, Jésus ressuscité se manifeste aux deux femmes qui ont été les premières témoins de la résurrection, Marie de Magdala et l’autre Marie. Pleines de joie, elles s’éloignent déjà du tombeau vide quand Jésus leur dit : « Allez dire à mes frères de se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront »[22].

Rendez-vous en Galilée, le lieu du quotidien, la terre où se mêlent toutes les cultures, pour y commencer avec le Christ vivant la grande et formidable mission d’être témoins d’une force de vie plus forte que toutes les forces de mort. Appel à être porteurs, ici et maintenant, d’une parole véritable, parole de Dieu, parole de vie.

Allez dire à mes frères et sœurs… Jésus inaugure une fraternité nouvelle, lui qui est, comme l’écrit Paul dans sa lettre aux Romains, « le premier-né d’une multitude de frères »[23]. Nous ne sommes pas frères et sœurs par le sang, mais frères et sœurs du Christ ; par l’Esprit, enfants de Dieu, notre Père. Frères et sœurs en Christ, nous sommes appelés à vivre la grande fraternité de tous les Chrétiens à travers les continents, dans la diversité des Églises et des dénominations.

Comme un clin d’œil de l’actualité, en ce moment même se tient à Karlsruhe, en Allemagne, la onzième assemblée du Conseil œcuménique des Églises, qui rassemble 352 Églises autour du thème « L’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité ». Puissions-nous être emplis ensemble de l’amour du Christ, ensemble engagés pour la réconciliation et l’unité dans ce monde. Être ensemble, comme l’expriment les documents œcuméniques récents, « signes, instruments et avant-goût du Royaume ». Être ensemble témoins d’une fraternité possible, en Christ. Car ce qui nous unit ici, aujourd’hui, frères et sœurs, ce n’est pas d’abord le souvenir de nos ancêtres massacrés, c’est le Christ. 

  • Le Christ, notre frère, qui sur la croix a partagé le sort de l’humanité pour nous dire que Dieu est au plus proche de nous quand nous sommes plongés dans la souffrance et la mort. 
  • Le Christ, notre frère, qui depuis le matin de Pâques n’est plus dans le tombeau et qui, premier né des temps nouveaux, nous entraîne dans la vie, la parole, la relation, la résurrection.

 

Dans le souffle de l’Esprit saint, la suivance du ressuscité est la transformation du cri « qu’as-tu fait de ton frère, qu’as-tu fait de ta sœur ? » en appel à l’engagement joyeux pour un monde dans lequel il est possible de vivre la fraternité, de la construire, de la reconstruire.

Reconstruire… savez-vous que ce verbe est l’anagramme du mot « résurrection » ?

Amen.

La Fédération Nationale des Associations Familiales Protestantes a pour mission de représenter, de défendre, les familles issues de la réforme ainsi que toutes celles qui se retrouvent dans ses valeurs. Localement, ce sont un peu plus de 160 175 AFP qui développent des actions de solidarité familiale, qui gèrent des établissements scolaires, des centres de loisirs, animent des ateliers à la parentalité, prennent soin de leur prochain.

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