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ETRE A L’ECOUTE DES FAMILLES TOUCHEES PAR UN DEUIL PERINATAL

En 2015, nous avons une petite fille de 2 ans, Zoé ; nous venons d’acheter une maison et je suis enceinte d’un petit garçon. La vie de rêve, « le choix du roi » ! A l’échographie du 2ème trimestre, le médecin m’annonce : « Il y a un problème avec le bébé », avec notamment des malformations cardiaques (dont l’aorte qui débouche sur une impasse au lieu d’une artère). Qu’importe, tout ceci est opérable. De plus, l’artère fœtale est, pendant toute la grossesse, un « trajet bis » pour le sang qui permet à notre fils de vivre sans souci in utero. S’en suivent 2 mois d’examens réguliers (amniocentèse, divers tests génétiques et échographies) au cours desquels plusieurs autres malformations sont diagnostiquées, petit à petit. Certaines sont opérables, d’autres non. A une époque où la médecine fait beaucoup, jusqu’à combien de malformations va-t-on opérer ? On sait faire, mais est-il toujours pertinent de le faire ?

Comme bon nombre de chrétiens, nous avons à l’époque une opinion tranchée au sujet des interruptions de grossesse. Nous découvrons que c’est une chose d’avoir des idées théoriques, c’en est une autre de vivre le moment où l’on se dit que notre vie peut basculer. Avec le recul, cela m’a permis d’accroitre ma volonté d’être une oreille compatissante et sans jugement si l’on me raconte une situation de vie difficile, loin des discours tranchés. Jésus n’a-t-il pas fait de même vis-à-vis de la femme adultère, alors que ses contemporains ne pensaient qu’à condamner ?

Après deux (longs) mois, la cardiopédiatre nous indique que s’il y a opération, les chances de survie sont très minces, au vu de l’évolution du diamètre des artères, et les handicaps mentaux et moteurs très importants. Elle nous invite à demander soit une IMG (Interruption Médicale de Grossesse), soit de nouveaux examens de l’enfant après la naissance, après quoi on pourrait choisir de « débrancher » ou d’opérer. C’est moi qui lui demande si une 3ème voie est possible, celle de l’accompagner tant qu’il y a un souffle de vie en lui, en soins palliatifs.

C’est en cherchant au hasard sur Internet que je tombe sur la page de l’association Spama, et que je découvre, surprise, que d’autres parents ont vécu la même chose que nous. Quel soutien ! Malgré tout, comment affronter la mort d’un bébé ?

Le récit de Job m’aide beaucoup : ce personnage n’a rien demandé à personne et son malheur le fait crier vers Dieu. L’Éternel ne lui reproche jamais son attitude, alors qu’il le fait pour les amis de Job qui cherchent notamment une explication rationnelle à ses malheurs.

Au cours de ces deux mois, quelques phrases m’accompagnent, écrites comme si c’était Dieu qui parlait : « Accepte de vivre un jour à la fois, avec les limitations que cela implique. (…) Même si ton environnement est troublé et que tout paraît sens dessus dessous, rappelle-toi que moi, j’ai vaincu le monde. Je t’ai dit cela afin que tu aies la paix en moi. », « Renonce à l’illusion que tu mériterais une vie sans problème. (…) Même lorsque tout va mal, fais-moi confiance. Les circonstances m’intéressent beaucoup moins que la manière dont tu y réagis. »[1]

Au début du 8ème mois, la poche des eaux se fissure. Ethan naît, vit 3 heures en salle de naissance, et meurt dans mes bras. Et ce n’est pas que triste. Ces moments contribuent pour nous à donner du sens à cette aventure. Quand Ethan était encore dans mon ventre, nous savions déjà que nous lui avions donné la vie. Mais le tenir dans nos bras nous touche profondément. Le « pourquoi Ethan a-t-il un corps comme ça ? » est résolu du même coup. Une fois que nous voyons et tenons Ethan, nous réalisons que nous l’aimons comme il est et que nous sommes heureux de l’avoir connu. Et donc la question ne se pose plus.

Malgré tout, l’ambivalence des sentiments est difficile à accepter : la douleur du départ d’Ethan et le soulagement qu’il n’ait pas souffert. Mais aussi le soulagement de ne pas accueillir un enfant si lourdement handicapé et la culpabilité de ressentir ce soulagement.

Certains avaient craint qu’en faisant ce choix de l’accompagnement en soins palliatifs, nous prenions le risque de souffrir. En ce qui nous concerne, c’est le contraire : cela ne sert à rien de vouloir résister au deuil mais c’est en acceptant de le vivre que notre deuil avance et que la blessure provoquée cicatrise correctement.

Contre toute attente, cela semble plus facile à vivre pour Zoé que pour nous. Comme le disait Gaspard à propos du décès de sa petite sœur : « La mort, c’est pas grave. C’est triste, mais c’est pas grave. »[2]

En effet, « Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? » (1 Corinthiens 15) C’est la Vie qui a le dernier mot, quelle que soit la durée de la vie.

Une femme qui a vécu une histoire semblable à la nôtre a écrit à propos de son bébé : [Son corps] « n’aurait rien été d’autre qu’une prison pour son âme. Mais il avait été parfait à l’intérieur de moi. » et « Il est étrange de constater à quel point le deuil accroît notre capacité de vivre. (…) La nature éphémère de notre existence nous force à reconnaître notre mortalité, et donc l’importance de faire de chaque instant un moment unique d’amour, (…) elle nous permet également (…) d’apprécier la valeur des cadeaux que la vie nous offre. »[3]

Par la suite, je deviens bénévole auprès de SPAMA (Soins Palliatifs et Accompagnement en MAternité). Il s’agit d’une association apolitique et non confessionnelle, je témoigne donc ici de ma foi non pas en tant que bénévole, mais en tant que parent endeuillé. L’association SPAMA accompagne les parents qui sont confrontés à l’épreuve du deuil périnatal, qu’il s’agisse d’une poursuite de grossesse après un diagnostic anténatal défavorable comme nous l’avons vécu, ou après un décès in utero ou à la maternité, suite à une prématurité ou une maladie. Les parents qui ont vécu une IMG sont aussi les bienvenus s’ils le souhaitent ou sont redirigés vers l’association Petite Emilie dont nous sommes partenaires.

Pour ceux qui connaissent de tels parents, il existe des ressources, même si la base reste celle indiquée par Paul : « Pleurez avec ceux qui pleurent ». Notez au passage que l’apôtre ne dit pas : « Consolez-les, en disant qu’il faut être fort car Dieu est avec eux. » J’ai vu des chrétiens vouloir éviter le chemin du deuil alors que celui-ci est un passage nécessaire et légitime, qui ne peut se faire que soi-même, même en étant accompagné. Jésus a pleuré pour Lazare et n’a pas fait taire les pleureuses !

Pour ceux qui veulent aller plus loin (familles ou soignants), différentes thématiques sont abordées ici, et des publications peuvent être offertes aux parents. Ceux-ci peuvent également intégrer un groupe d’entraide, venir sur le forum, participer aux actions locales du 15 octobre (Journée internationale de sensibilisation au deuil périnatal), appeler la ligne nationale d’écoute (07 87 85 37 81)… Nous espérons également trouver des bénévoles, notamment dans les régions où l’association n’est pas encore implantée.

Dans nos AFP, nous rencontrerons peut-être des familles touchées par un deuil périnatal, récent ou ancien, avec une blessure « soignée » ou non. Sachons rester à l’écoute du Consolateur pour accueillir, rediriger, entourer avec amour.

Evelyne LUTTRINGER, Bénévole Spama

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[1]    Sarah YOUNG, Un moment avec Jésus : Chaque jour de l’année, éd. Ourania, 2014

[2]    Anne-Dauphine JULLIAND, Deux petits pas sur le sable mouillé, éd. Les Arènes, 2011

[3]    Sarah WILLIAMS, Cerian, mon enfant, éd. Farel, 2007, p144 et 186

- Evelyne LUTTRINGER, bénévole à l'AFP Germes d'espoir : https://www.afp-germesdespoir.fr - Elle est également bénévole dans l'association Spama (soutien des parents qui vivent un deuil périnatal, et promotion de l'approche palliative auprès des soignants) - Spama fait partie de l'UNAF.

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